Avoir peur de se planter, de bredouiller lamentablement surtout quand on se présente comme un expert de la communication multilingue ! Se demander en boucle ce qu’on fait là quand on pourrait être ailleurs, concentré sur le début d’un roman, absorbé par la réécriture d’un article… et se dire pourtant de ne pas trop attendre de cette 4ème édition du TOURISME BUSINESS MEETING qui se déroule aujourd’hui à la Gare Maritime de Cannes. Ne pas trop attendre de cet événement, même si je me suis acquitté d’un droit d’entrée et que j’en veux pour mon argent. Même si je sais de source sûre que plusieurs responsables commerciaux de grands hôtels de la Côte d’Azur seront présents, leur petit badge autour du cou, leur feuille de route bien en main, leurs cartes de visite prêtes à passer dans d’autres mains. Tous les participants attendent de parler, de voir des gens qui sortent de l’ordinaire.
Je ne suis pas à mon aise. Pas fan de ces business meetings, chronométrés, formatés, qui sont bel et bien réservés aux pros : responsables commerciaux de tout poil, œuvrant pour des palaces, des domaines de rêve alliant business et bien-être, des agences événementielles diverses et variées, des institutions locales, des artistes, leur book sous le bras, venus proposer leurs talents. Des interprètes de conférence ? Ici, pas question de griffonner des coordonnées sur un bout de papier ou d’échanger des numéros de portable entre deux portes. Etrangement, malgré l’avènement des réseaux sociaux, du tout online, les cartes de visite sont toujours là. Serrées par un gros élastique marron, cachées dans un porte-carte métallique, au fond d’une poche de tailleur. C’est un rituel. Et donc, au rituel je me plie. A propos de pli, j’ai pris une poignée de plaquettes pliées en trois. Au cas où.
Les gens qui se pressent à l’accueil attendent badges et informations pour savoir comment s’y retrouver dans ce dédale de tables rondes. Pour l’occasion, clin d’œil au Festival de Cannes car les tables portent toutes des noms de stars du grand écran. Françaises ou américaines, sans ordre ou hiérarchie particulière. Me voici donc, Gare maritime de Cannes, naviguant de Jean Dujardin à Valérie Lemercier, jetant l’ancre devant Marion Cotillard. Planté devant cette table, je me rappelle de mon erreur lorsque j’avais lu « Tables rondes » sur le programme des réjouissances : j’avais imaginé un docte conférencier, des gens qui écoutent, d’autres qui prennent des notes, assidus comme au bon vieux temps de la fac. J’avais pensé que des experts disserteraient sur le développement du tourisme professionnel en PACA, alors qu’en fait les « tables rondes » sont tout simplement rondes.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
En gros, si je résume, on m’a conseillé de ne pas placer trop d’attentes, d’espoirs dans ce type de rencontres, cependant la plaquette de présentation préconise de présenter ses services, avantages concurrentiels et tarifaires en moins de trois minutes. L’air détaché donc, en sifflotant, les mains dans les poches du costume. Et là, je vois bien que ça va coincer. Pas seulement parce que j’ai de grandes mains et que les poches de mon costume sont de vraies fausses poches.
Le pitch maintenant, le plat de résistance de ce midi. Se présenter en moins de trois minutes est un art. C’est aussi un exercice connu sous le nom de ELEVATOR PITCH car dans l’univers impitoyable des affaires à l’américaine, on nous assure qu’on a toujours une chance, une infime fenêtre de tir pour débiter son argumentaire commercial à un big boss croisé, par hasard, dans un ascenseur. Cette chance de persuader un Bill Gates, un Mark Zuckerberg ne doit pas être gâchée mais attention, légende urbaine ou pas, on n’a jamais plus de 180 secondes pour convaincre, d’où l’intérêt de bosser son pitch !
Je l’ai déjà dit, je ne raffole pas de ce type de rencontres, entendons-nous j’adore voir du monde, faire de nouvelles rencontres, découvrir de nouveaux métiers mais j’aime bien le faire en roue libre, sans contrainte extérieure, sans jolies hôtesses toutes en tailleur noir-sourire fuchsia pour vous rappeler qu’il vous reste deux minutes, puis une, puis… de se pencher délicatement sur vous pour que vous cédiez la parole à votre voisin. De gauche. Rien de politique. Seulement, lorsque vient le tour de votre voisin à la CCI, on le fait de gauche à droite, sinon c’est le chaos. Apparemment. Du coup, on peut jouer les rebelles pour pas grand-chose en décidant de tourner de droite à gauche, voire de commencer par distribuer les précieuses cartes de visites, histoire de se débarrasser de la corvée.
Je balaie la salle du regard, circulaire le regard comme les tables, je me félicite d’avoir enfilé mon costume gris charbon. Je l’avais étrenné pour ma mission d’interprète de conférence à Marseille. Je souris en me rappelant ces rencontres entre producteurs français et israéliens, j’étais nettement trop habillé pour l’événement, aussi avais-je adoré tomber la veste dès la première prise de parole. Pour l’heure, je suis un peu à l’étroit dans mes chaussures de ville fraîchement cirées mais pas mécontent de les avoir aux pieds. La chaussure fait l’homme, dit-on.
Je sais que je devrais être détendu parce que bien préparé, j’ai bossé mon pitch. J’ai consciencieusement listé mes avantages concurrentiels, dressé un bref portrait de ma société, ébauché à grands traits les profils de mes interprètes de conférence ceux qui assureront les nombreuses missions que je leur confierai suite à ces rencontres. J’y crois dur comme fer sinon je ne serai pas là. En tout cas pas habillé comme ça, je serais si bien dans ce nouveau t-shirt en coton bio égyptien, ce bermuda…on appelle mon nom on l’écorche plutôt mais c’est bien ma présence qui est requise sur le plateau, pour la deuxième session de speed business meeting, je suis bientôt à court de cartes de visite. Et si j’attirais enfin l’attention d’un prospect mais qu’il ne me reste plus de bristols ? On y est, je stresse, je bégaie, je perds le fil de mon argumentaire pourtant réglé au cordeau. Les arguments béton qui devraient me permettre de décrocher des clients en or…
– tiens vous noterez qu’en français, on décroche un gros client mais en anglais on accroche un gros client, to land a client comme s’il arrivait en douceur. Sur un plateau.
Je divague, je digresse et… impossible de me rappeler de ma dernière phrase. Toujours est-il que tout le monde sourit, avec moi ou malgré moi je ne saurais dire mais tout le monde sourit. Je ne cherche plus à comprendre, je souris en retour avant de saluer, c’est ce que l’on fait lorsque l’on est sur scène, seul ou accompagné, n’est-ce pas ?
Je suis rouge, couvert de transpiration mais heureusement protégé par la veste gris charbon qui habille ma chemise blanche. Je pivote d’un coup sur mes talons, la tête aussi vide que le porte-cartes. J’essaie de repérer la sortie, tout en esquivant les sorbets champagne rosé à l’azote. J’entends des talons, des talons hauts qui giflent le pavé du vieux port
– Dites c’était amusant votre dernière phrase là ; décrocher/accrocher, ça doit pas être évident de tout connaitre dans deux langues, de tout collectionner en deux exemplaires mais bien rangés dans la tête pour sortir ça au bon moment avec le stress et tout.
Je bafouille un non, ma tête fait oui. Trois fois.
– Dites, je ne me suis pas présentée, je suis arrivée en retard je m’appelle Marie, je suis la Directrice du Palais des Festivals de Cannes et j’ai bien aimé votre pitch. Il vous reste une carte de visite ?
Salut cher cousin!!!
Je viens de découvrir tes textes et j’en choisi un… par hasard.
J’aime ton écriture, tu le sais, mais ça va mieux en le disant.
Aujourd’hui mon message est un peu court mais la prochaine je prendrai le temps de disséquer.
Embrassades.
bravo, article bien tourné et bien écrit, enlevé et …. j’adore la chute…
Cher Cyril,
pour voyager rien de tel que de te lire! Et de te relire, cela me semble, d’ailleurs, une bonne chose!
Cannes, je connais un peu. Lorsqu’on pouvait encore prendre un café au Martinez, tout en côtoyant les stars du moment. Quant à l’ambiance feutrée du networking, je pense que tu as là, la trame d’un beau court métrage. Entre réalité et fiction. Cela marche!
Bravo!
Bonjour Cyril,
J’ai fait une pause pour lire ton article. Je me suis dit « Oh, c’est long, c’est plus qu’une pause… » Mais je l’ai lu très rapidement, c’est fluide et sans fautes d’orthographe 😉
J’espère que tu as eu l’occasion de recontacter la directrice du Palais des festivals de Cannes.
Toutes mes félicitations pour cet article, c’est fluide, humoristique, et intéressant, c’est un monde que je n’ai pas encore pratiqué, et je suis en train de me pencher sur le fameux « réseau », d’ailleurs, je vous conseille de lire « réussir grâce au bouche à oreille ». (je n’ai aucun intérêt commercial avec ce livre). Pour le moment, je ne fais pas partie d’un club de « Networker » comme on dit, mais c’est un projet qui me tient à cœur. En tout, merci pour ce partage.
magnifique récit cher Cyril, des aventures quotidiennes du monde du NETWORKING et de tout ce qui s’y rapproche ! nous avançons toujours dans le progrès technologique mais bien nombre de choses « plus tangibles » ne changeront pas : telle l’authenticité d’être soi-même 😉
Merci pour ce superbe article! Je n’ai même pas eu besoin d’aller à Cannes, tu m’y as transporté. L’ambiance, les gens, le stress, les rires, j’ai tout vécu au fil des paragraphes !