Interprète de conférence, job invisible ?
Impossible ? Pas avec une solide préparation.
L’interprète de conférence passe de longues heures,
penché sur son ordinateur, le nez au milieu des dictionnaires, plaquettes commerciales ou profils LinkedIn des speakers. C’est un mal nécessaire. En anglais, ne dit-on pas d’ailleurs
Qui se traduit en gros par : mieux vaut se prémunir que regretter ensuite. Comme vous le voyez, le français requiert toujours beaucoup plus de mots que l’anglais. Résultat. Nous pauvres interprètes de conférence francophones devons presser le pas, avoir un débit plus que rapide. Dans le métier, nous sommes surnommés les mitraillettes*.
*en français dans le texte
Trêve de plaisanteries, après avoir bûché,
l’interprète établit son petit glossaire personnel
qui peut s’allonger lorsque les domaines concernés sont nombreux, doit arriver en forme frais et dispo le jour J. Il doit aussi se fondre dans le décor. Pas difficile lorsqu’il est caché au fond de la salle de conférence, casque sur les oreilles, énorme microphone masquant son visage me direz-vous.
Certes, se fondre dans le décor est aisé mais au point de devenir invisible…
Figurez-vous que cela nous est arrivé, je dis nous car j’étais en cabine en compagnie de ma collègue et amie Muriel. La conférence avait débuté à l’heure, notons-le, c’est rare. Le présentateur américain enchaînait les présentations et intros comme il se doit à un rythme endiablé. Et là, dans le flot de l’action, voilà que Jesse, le présentateur donc, demande à l’un des organisateurs de la conférence de traduire ses propos…
Précisons que Muriel et moi traduisions en simultané depuis plus d’une demi-heure. Je me tourne vers elle, elle se tourne vers moi. Incompréhension. Stupeur. Tremblements.
L’organisateur français s’exécute de bonne grâce et commence à traduire tant bien que mal les propos de Jesse. Je me demande que faire. Désœuvré, interloqué, je me ressaisis et fait moult gestes en direction du présentateur. En vain. Je m’agite tant et plus, hésite à sortir de ma cabine, pour aller trouver l’homme au micro mais je crains de lui couper son élan et de refroidir l’atmosphère chaleureuse et studieuse. Au bout de quelques longues minutes, l’ingénieur du son au look gothique mais sobre me voit, capte mon désespoir et celui-ci intervient auprès de Jesse :
les interprètes sont là au bout de la salle, pas besoin de traduction improvisée. Chacun son boulot.
Voilà, notre travail était trop fluide, trop parfait, nous étions devenus invisibles.